jeudi 27 décembre 2012

Sainte Cécile

Concluons donc ce voyage pictural et littéraire où nous a conduits la lecture du livre de Paul Louis Rossi, Démons de l'analogie. Après avoir éclairé le rêve de Jean Valjean, l'auteur revient sur la peinture du XVIIème siècle, si pleine de sauvagerie, si habile et si empressée à donner figure au crime. Une seule remarquable exception selon lui : sainte Cécile. Pourtant son histoire, transmise par la Légende dorée, n'est rien moins que violente elle aussi. Il en rappelle les principaux moments : "fille d'une grande famille romaine - les Cecilii - elle devait épouser un prince romain, le païen Valérien. Mais contre toute attente elle le convainc dans la chambre nuptiale de se convertir et de renoncer à la consommation du mariage en observant une complète chasteté. Le préfet de Rome fit tuer Valérien. Puis il essaye inutilement d'étouffer Cécile dans un bain bouillant. Ensuite il la fit frapper par le bourreau de trois coups de hache, elle expira au bout de trois jours d'agonie."

Il poursuit en notant ce fait étrange qu'il ne reste pratiquement rien - à quelques rares exceptions près - de cette barbarie dans la peinture. "La plupart du temps, les peintres ont dressé un portrait harmonieux et paisible de la jeune femme. On ne sait pas bien pourquoi elle fut choisie comme patronne des musiciens. Mais ce que l'on peut constater, c'est la tranquillité de son maintien, la sérénité, et même la paix absolue de son visage et de ses gestes." Tout l'oppose au musicien raté de Greuze, comme on peut l'éprouver dans le tableau d'Orazio Gentileschi, sa Sainte Cécile avec l'Ange, peint en 1621.


"Le succès iconographique de sainte Cécile n'est pas fortuit. Il démontre simplement ceci, pour parvenir à la musique, il faut qu'il existe du manque. Ce n'est pas une histoire de sentiments. Il faut parvenir à l'expression de la musique hors la mesure." J'avoue ici ne pas bien comprendre : à quel manque fait-il allusion ? à celui qu'entraîne la chasteté voulue ?
Signalons quand même que sainte Cécile n'était pas à l'origine la patronne des musiciens. Longtemps ce rôle fut dévolu au pape Grégoire, qui donna ses lettres de noblesse au chant justement dit grégorien. Cécile, dont le culte remonte au Moyen Age, était représentée avec un bouquet de roses et une épée, sans instrument de musique. 


Il est surprenant que Paul Louis Rossi n'ait pas insisté sur le motif de la décapitation également à l’œuvre dans la légende de Cécile. Condamné à être décapitée, elle fut frappée trois fois par le bourreau, sans que celui-ci parvienne à trancher la tête, le quatrième coup étant interdit, elle agonisa donc pendant trois jours.

Sainte Cécile de la cathédrale d'Albi (nommée Sainte Cécile)

Cette sainte Cécile est la copie de celle de Stefano Maderno, qui a représenté la sainte dans la position où elle aurait été retrouvée, impeccablement conservée, lors de la rénovation de l'église en 1599. Ce n'était pas le premier miracle touchant son inhumation. Enterrée dans les catacombes de Saint Callixte, elle était apparue en songe au Pape Pascal en 822 et lui avait indiqué l’emplacement de son tombeau. Le cercueil avait alors été déplacé dans l’église Sainte Cécile au Trastevere et placé sous l’autel.

Angèle Paoli parle bellement de ce marbre de Maderno :  " Étonnante de modernité, la Cécile de Maderno (1600), premier grand témoignage de la statuaire baroque, émeut et trouble. Belle mystérieuse, voilée ― dévoilée ― révélée."




Finissons. Dernier paragraphe du texte rossien :

"Nous voici à la fin de notre récit des Démons de l'analogie, avec si peu de choses au creux de la main, quelques noix fermées, de la souffrance, une absence, le regard baissé de la jeune musicienne devant son orgue, l'Allégorie de l'Inclination d'Artemisia, à la Casa Buonarroti de Florence. La Pénultième vient de mourir, l'histoire gît dans ce rien qui nous échappe et qui demeurera dans le secret des mots et des images, qui établit une passerelle fragile entre l'écrivain et le lecteur. Cela tient dans une respiration. Un souffle. Un geste parfois. Comme cette paume renversé de la petite personne qui proteste au ciel contre le meurtre de Matthieu en Éthiopie, dans la si belle peinture de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage."

détail
Mais est-il une fin dans la quête analogique ? Est-il une fin de la protestation contre  la violence faite aux hommes ? Est-il une fin à cette violence même ? Le peu que nous tenons en nos mains ne peut-il être donné, semé, dispersé ? Je n'avais pas fini ce parcours dans le récit de Rossi que déjà un autre se dessinait dans les linéaments d'une autre œuvre, où les motifs et les thèmes rencontrés ici se retrouvaient là, alors que d'autres constellations symboliques surgissaient, s'imposaient irrésistiblement. Nous retrouverons Le Caravage, sainte Cécile, la violence et l'amour. Rendez-vous l'année prochaine.

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