jeudi 26 avril 2012

Les nouveaux "Misérables"

Journée spéciale Les nouveaux "Misérables", 150 ans après Victor Hugo, le retour de la colère sociale / Vendredi 27 avril 2012

« Les Misérables ne sont que l’expression d’une colère universelle, fondamentale dont l’histoire des hommes nous livre, par période, des illustrations extrêmes », écrit il y a cent cinquante ans Victor Hugo alors que son grand roman s’apprête à paraître entre avril et mai 1862.
Tout juste un siècle et demi plus tard, en pleine campagne présidentielle, j’ai souhaité que France Culture consacre très largement son antenne du vendredi 27 avril aux «  Nouveaux Misérables ». Qui sont-ils ? Où vivent-ils en France ? De quoi leur indignation, leur exclusion, leur invisibilité, leur colère sont-elles faites ? Alors que l’élection française, sur fond de crise et de montée des extrêmes, manifeste de nouveau dans ses résultats du premier tour cette colère sociale, est ce un hasard si de nombreux candidats, de François Hollande à Nicolas Sarkozy, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon ont souvent cité, pendant cette campagne, Hugo et ses Misérables ?
Du matin au soir de ce vendredi 27 avril, huit émissions s’emploieront à faire ce lien, dans l’histoire de notre pays, entre le roman et le réel : les Matins, la Fabrique de l’Histoire, Culturesmonde, la Grande table, les Pieds sur Terre,  Sur la Route, le Magazine de la Rédaction. Les producteurs et les journalistes de France Culture se sont mobilisés avec leurs invités, pour dresser ce tableau d’une France en colère.  En attendant, à l’automne, une nouvelle adaptation radiophonique des Misérables, qui sera diffusée en quatre feuilletons d’une heure dans l’émission Drôles de Drames. Victor Hugo, hélas ou tant mieux, selon qu’on s’intéresse à la figure politique ou littéraire, est toujours d’une singulière et éclairante actualité.
Olivier Poivre d’Arvor
Directeur de France Culture

lundi 23 avril 2012

Tempête sous un crâne

Trois heures et demi de spectacle, en deux parties, ce sont des milliers de mots, des centaines de phrases, qui vous arrivent, là, vous percutent, vous saisissent, vous bousculent, vous laissent éberlué devant tant de force et de beauté, et pourtant ces mots, ces phrases ont cent cinquante ans, mais celui qui les a écrites demeure notre contemporain, et les sept jeunes comédiens qui ont porté si haut son œuvre ce soir-là méritaient mille fois la standing ovation d'un public castelroussin, d'habitude peu enclin au débordement d'enthousiasme.

Nous étions vingt-cinq du Manteau d'Arlequin à avoir répondu en ce jeudi soir 19 avril à l'invitation d'Equinoxe, dont toute la bonne équipe du château de Puydauzon, et j'étais heureux que ces vingt-cinq là, presque la moitié de la troupe - mais je sais aussi que d'autres ont vu le spectacle un autre jour, ou en un autre lieu, et l'ont aussi aimé-, aient pu entendre le verbe hugolien, éprouver sa puissance de feu, sa clarté, sa gravité et son humour aussi, souvent. Ce qu'ils ont vu ne ressemble pas à ce que nous ferons dans les ruines, et je suis content de cela aussi, car nous ne venions pas pour reprendre des idées, pour s'inspirer de ce travail, en être influencé, nous venions pour pénétrer plus avant dans la geste des Misérables, entrer dans l'intelligence de ce qui s'y joue, au-delà des scènes d'anthologie auxquelles on réduit trop souvent cette œuvre immense et protéiforme.

Le texte était donc dit, frontalement la plupart du temps, très rarement joué, même quand il y avait des dialogues, ceci dans une scénographie très épurée, avec un pauvre lit de fer pourvu d'un simple matelas nu pour quasi seul mobilier et des costumes d'aujourd'hui sans aucune ostentation, avec quelques couleurs primaires, un rouge, un bleu, claquant sur la neutralité du décor. Un vaste panneau de fond de scène, anthracite pour commencer, puis qu'on manœuvrera pour qu'il révèle sa face de lumière. Beaucoup de lumières, de petites lumières, comme celles de ces flambeaux, symboles de la rédemption de Jean Valjean, lumières dans la nuit de la misère et de l'oppression.


Tempête sous un crâne / Jean Bellorini from formart on Vimeo.

La force de l'interprétation tenait beaucoup de ces chœurs à deux, à trois, à quatre, à cinq, remarquablement précis et dynamiques, ce qui n'a pas manqué de me questionner sur les propres chœurs que j'ai prévus d'insérer dans la pièce, en souvenir d'ailleurs du chœur de treize personnes qui officiait en 62, sur des passages et des modes que je ne connais pas, faute de documents d'archives. La place de la musique, jouée en live, piano et batterie à cour et jardin, était également essentielle, ceci confirmant ma volonté d'accorder une grande importance aux paysages sonores de l'histoire, de privilégier le son sur la reconstitution de décors dispendieux dont l'imaginaire trouve aisément à s'émanciper.

La pièce s'achève sur la mort de Javert, faisant donc l'économie de la fin de Valjean, comme dans le film de Bille August, en 1998. Ceci est un parti pris que je comprends parfaitement, car cet épilogue christique, où Valjean n'en finit pas de souffrir, où il doit boire le calice jusqu'à la lie, est d'une lecture que j'ai jugée éprouvante. Il me semble qu'il a posé des problèmes à tous ceux, cinéastes et dramaturges, qui ont tenu à le représenter. Et si je l'ai gardé in fine, c'est à la condition, dans l'ultime scène 50, d'en donner en même temps une vision critique.


Tempête sous un crâne – adapted from Les Misérables by Victor Hugo from formart on Vimeo.

Toute adaptation de ce monument de 1800 pages (dans l'édition Folio) conduit inévitablement à des coupes. Et ce fut intéressant de voir que des épisodes à mon avis secondaires avaient été justement oubliés, comme l'histoire de Thénardier à Austerlitz sauvant le père de Marius : cet artifice romanesque, comme quelques autres moins célèbres, peut être négligé sans dommage, bien au contraire. Un personnage comme Gillenormand, grand-père de Marius, important dans l’œuvre, n'apparaît même pas : je me sens donc moins coupable de l'avoir sacrifié moi aussi. Bien sûr, il existe beaucoup de différences entre nos adaptations, ne serait-ce que parce que j'ai privilégié les dialogues, et que la forme narrative choisie par la compagnie Air de Lune (très belle appellation) lui permettait plus aisément de travailler sur l'entièreté de la prose hugolienne, mais j'ai particulièrement apprécié que soit repris par exemple la défense de Champmathieu, accusé à tort à la place de Jean Valjean. Je n'ai jamais observé que son discours ait été conservé dans les films, or il est vraiment poignant. Je ne résiste pas à en donner ici, pour finir, l'intégralité (mais j'ai dû couper pour l'adaptation)  :


—J'ai à dire ça. Que j'ai été charron à Paris, même que c'était chez monsieur Baloup. C'est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu'il faut des espaces, voyez-vous. L'hiver, on a si froid qu'on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c'est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j'en avais cinquante-trois, j'avais bien du mal. Et puis c'est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n'est plus jeune, on vous l'appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu'on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge.

Avec ça, j'avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu'à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c'est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n'ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d'eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l'eau arrive par des robinets. On n'est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince derrière soi dans le bassin. Comme c'est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a une buée d'eau chaude qui est terrible et qui vous perd les yeux. Elle revenait à sept heures du soir, et se couchait bien vite ; elle était si fatiguée. Son mari la battait. Elle est morte. Nous n'avons pas été bien heureux. C'était une brave fille qui n'allait pas au bal, qui était bien tranquille. Je me rappelle un mardi gras où elle était couchée à huit heures. Voilà. Je dis vrai. Vous n'avez qu'à demander. Ah, bien oui, demander ! que je suis bête ! Paris, c'est un gouffre. Qui est-ce qui connaît le père Champmathieu ? Pourtant je vous dis monsieur Baloup. Voyez chez monsieur Baloup. Après ça, je ne sais pas ce qu'on me veut.






mardi 10 avril 2012

Javert après Valjean

Pour les amoureux de Paris, je ne saurais trop conseiller la belle émission inspirée de Métronome, le livre de Lorànt Deutsch. Série d'émissions plutôt, diffusée sur France 5 chaque dimanche après-midi d'avril. Elle est accompagnée d'un site, présentant une magnifique carte interactive de Paris. On peut contempler la capitale aux différentes époques de son histoire, ou suivre l'évolution architecturale quartier par quartier. Photos et vidéos sont au menu. Un bel ensemble.


En ce qui nous concerne, le XIXème siècle présente deux entrées sur Les Misérables, "Gavroche" et "Javert après Valjean".


Ce titre même me donne l'occasion de revenir sur cette curieuse proximité des patronymes. Javert et Valjean partagent en effet les mêmes consonnes J et V, inversées, comme en rotation autour du A. La poursuite est inscrite dans le corps des lettres, indice d'une mystérieuse solidarité entre le bagnard et le policier (lui-même fils d'un garde-chiourme, donc marqué dès l'origine par le régime carcéral). Une semblable rectitude morale les réunit, même si elle n'est pas de même nature (Valjean obéit à une morale transcendante, Javert à la Loi des hommes), ce qui les distingue fondamentalement de l'autre personnage principal, Thénardier, crapule intégrale.
Ce nom aurait été inspiré à Victor Hugo par Louis Jacques Thénard, son contemporain et chimiste renommé, qui était opposé à la réduction du temps de travail des enfants proposée par Hugo (10 heures au lieu de 16).
C'est d'ailleurs sous ce nom de Thénard que Thénardier, devenu négrier en Amérique, se présente à Marius en juin 1833, à la fin du roman.


Thénard, illustration de Gustave Brion


"Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement... »

(Melancholia, Les Contemplations)

mercredi 4 avril 2012

Les Misérables de René Giffey


Scanné quelques planches des trois volumes de la bande dessinée de René Giffey, que j'ai déjà évoqué ici. Recadré ensuite certaines images pour contribuer à la réalisation des costumes. Un dessin est souvent plus évocateur, plus suggestif qu'une photo. Il va à l'essentiel, ce qui s'accorde bien avec la fonction du costume théâtral. Voici un petit échantillon de ces vues souvent magnifiques.

Javert    
Jean Valjean
La pègre
La Thénardier