dimanche 30 décembre 2012

Rapport de la mission « Chateaubriand - Rue aux Ours. »

Javert (alias Francis Dusserre, faut-il le rappeler) m'envoie en cette fin d'année son rapport de mission à la rue aux Ours. Une belle évocation, en passant, de sa jeunesse parisienne. Avec la gouaille habituelle dont on ne se lasse pas. Bonne lecture, bonne année à toutes et à tous, et à l'année prochaine !

"Comme prévu je me suis mis dans les pas de Chateaubriand à travers le quartier des Halles.

J’ai commencé le parcours au Petit Pont, traversé la Cité et ce n’est pas sans émotion que je suis arrivé sur la rive droite par le Pont Notre Dame, là où disparut Javert.

Pour rejoindre la rue Aux Ours le plus simple serait de suivre la rue Saint Martin qui recouvre le Cardo romain dont nous avons déjà parlé. Chateaubriand lui s’égare à travers les Halles et emprunte la rue Saint Denis : pourquoi ?


Les deux rues Saint Denis et Saint Martin suivent la même direction vers le nord de Paris, Saint Denis, Senlis et au-delà, mais sont et ont toujours été bien différentes. La rue Saint Denis a toujours été plus commerçante, plus artisanale, plus grouillante, et surtout bien plus active dans un commerce particulier : celui du sexe, même si cette activité ancestrale est présente dans tout le quartier et dans bien d’autres lieux de Paris. Je devrais en fait mettre tout cela au passé car depuis quelques années l’ordre moral, le puritanisme et le féminisme qui sent mauvais la punaise de sacristie, fût-elle laïque, a chassé nos braves putains vers les sinistres boulevards extérieurs oU les tristes bois parisiens. Qu’en était-il à l’époque de Chateaubriand et cela explique-t-il son détour ? En tous cas si lui, n’a rien retrouvé du vieux quartier, moi pas grand chose de celui que j’ai connu il y a 40 ou 50 ans.

Donc l’ambiance est annoncée : Nous allons faire dans la nostalgie des années 60 (1960) celle de la création cluisienne des premiers Misérables.

Au temps des Copains, j’avais une copine qui habitait rue Saint Denis, mais attention pas de confusion, je vous parle d’une habitante ordinaire de cette rue qui vivait là avec ses parents comme tant d’autres gens ( nous avions 13-14 ans), tout un peuple de Paris divers et varié qui cohabitait avec tous les commerçants du quartier qu’ils fussent grossistes en fruits et légumes ou tenanciers de rades. J’ajoute qu’une « copine » des années début 60 n’avait pas grand chose à voir avec les relations filles-garçons de notre XXI siècle. Allons même plus loin et disons franchement qu’à Paris nous étions à l’âge mi-enfant mi-bête, bien moins avancés que nos congénères de la campagne, il devait sans doute nous manquer de voir les lapins et autres animaux se sauter joyeusement dessus dans les cours de ferme… rat des villes à chaque vacance à la campagne j’avais un retard à rattraper sur mes copains rats des champs… Marcel Aymé a très bien expliqué tout ça et en a même fait une des raisons pour laquelle nous, jeunes citadins avons fait « Mai 68 ».

Dernier article de Marcel Aymé daté du 15 octobre 1967. A quoi rêvent les jeunes gens ? (extrait)

« Je sais que des fils de famille de moins de 16 ans commettent le péché de chair et que des filles de banquier sortent le soir…pour forniquer avec des garçons qui sentent mauvais …cette liberté nouvellement conquise n’est une révélation que pour une partie infime (de la jeunesse)…Quant aux paysans, la liberté ne posait pas de question car elle était acquise dès le jeune âge »

Nous nous éloignons de Chateaubriand, revenons-y : de cette ancienne et brève rencontre je ne m’en suis juste souvenu qu’en remontant l’autre jour la rue Saint Denis et il me revient seulement aujourd’hui que nous nous étions rencontrés en « Colo », en Bretagne, et que nous avions visité St Malo, ses remparts et la tombe de Chateaubriand qui avait dû fort peu m’inspirer à l’époque mais du moins sur laquelle je n’avais pas « pissé » comme se vantait de l’avoir fait Jean-Sol Partre un de nos futurs maîtres.

Après cette petite touche personnelle somme toute bien simple et bien pure, revenons à la rue Saint Denis. Donc aujourd’hui plus de prostituées, pas la moindre horizontale. Le cas est général dans le quartier : plus de putains rue des Lombards, aucun tapin et pas l’ombre d’une michetonneuse rue Quincampoix, pas la trace non plus d’une fille de joie rue aux Ours…je n’ai même pas voulu aller vérifier jusqu’à la rue Blondel que Brassens fait si bien rimer avec Bordel s’il y avait encore des gagneuses..



Attention à nouveau : je ne vais pas me faire passer pour un amateur du genre surtout après avoir dit l’état où nous étions, nous puceaux des années 60 : Consommateur : impensable ! mais « mateur » oui ! Il faut bien nous comprendre : à l’époque l’érotisme était rare, pensez qu’une speakerine s’était fait renvoyer de la TV pour avoir montré ses genoux.

Alors voir des Dany Carrel en chair et en tenue de travail c’était pour nous fabuleux . Si je cite cette actrice c’est qu’elle est « Madame Lafleur » dans un de mes films culte : « UN IDIOT A PARIS », film de 1967 qui se déroule entre les Halles, la rue des Vertus (si mal nommée) et l’Allier cher à René Fallet et qui pourrait être le Berry de mes vacances studieuses (voir plus haut). Si vous voulez voir et comprendre un peu les Halles d’avant 1968, voyez ce film plutôt que le trop américain « Irma la douce » et lisez le livre de René Fallet. 


René Fallet : en voilà, un nostalgique du quartier et je vous conseille d’aller voir le bouquin de photos de Martin Monestier dont il a rédigé les textes.

« D’après les amateurs des petites fées de la rue, rien, ni Hambourg, ni Amsterdam, n’égale en vertus suspectes le loisir qu’offrent les rues Saint Denis, des Lombards, de la Grande Truanderie et l’on en « passe », si j’ose dire….Je ne suis pas le seul à avoir pensé que Paris sans ses Halles ne serait plus jamais Paris ».


Plaçons tout de suite le témoignage d’un autre nostalgique : Bernard Dimey ( Il n’y a pas que Madame Bernard qui s’appelle Bernard )

« Je ne reviendrai plus dans le quartier des Halles,
Mes diables sont partis, pour Dieu sait quel enfer…


…Lèvres couleur de sang et du velours aux châsses,
La belle sans merci fumaille en rêvassant.
Au pas lent des années j’étais celui qui passe,…

Et ça tourbillonnait autour des jolies mômes
Maculées de sang frais par les garçons bouchers,
Les camions de lilas s’ouvraient en avalanches
Et tout autour de moi l’air sentait le printemps.


On ne me verra plus dans le quartier des Halles,…


Saint Eustache a gagné, les diables sont partis. »

(Sur le lien, la chanson interprétée par les frères Jacques)


Après ce petit tour entre les halles et la rue Saint Denis (il y aurait tant de choses à dire encore…) tournons à droite rue Etienne Marcel : nous sommes rue aux Ours .



Rue aux Ours : le nom viendrait de « rue aux Oies » car rue aux « oués ». Il y avait selon les étymologistes de cabinet des rôtisseries d’oies dans le secteur et le nom se serait corrompu en « Ours ». L’histoire et le terrain ne peuvent accepter une telle hypothèse : les oies du quartier ne furent jamais des oies blanches et puisqu’elles y rôtissaient dans plusieurs établissements elle devaient être bien embrochées, de là à y laisser leur nom …

Dans ce coin de Paris entre Halles et Sentier c’est bien « Ours » qui rôde.

Rue aux Ours


Nous sommes encore dans ce que les urbains-urbanistes appellent « l’hyper centre » car nous sommes aux pieds de la fortification de Philippe Auguste – (la rue aux Ours actuelle est peut être même à l’emplacement du mur ?) En ce temps quelques gueuses s’abritaient au pied de l’enceinte, déjà hors la ville, dans des cabanes en planches ( Bordes) d’où « Bordels ».

De l’autre côté de la muraille c’était déjà la campagne, il n’y a pas si longtemps c’était même la forêt, les bêtes sauvages et ce roi des animaux d’Europe : l’Ours !

Heures à l'usage d'Amiensfin XVe siècle
Ours muselé et écu armorié au lion
Bibl. Municip. d'ABBEVILLE
Ms 0016, Folio 0010v
(c) IRHT-CNRS

Le christianisme arrive, religion du Moyen - Orient puis de la Méditerranée où règne le lion qui bien sûr mange quelques martyres mais devient le symbole de l’évangéliste Marc. Il faut qu’il détrône l’ours du nord, l’ours païen dont le culte remonte aux temps des cavernes. Je n’irai pas plus loin dans la démonstration, renvoyant à la pièce à conviction constituée par l’ouvrage de Michel PASTOUREAU « L’Ours Histoire d’un roi déchu - Seuil ». Revenons juste au quartier de notre enquête ; à deux pas de la rue aux Ours s’élève depuis le V ème siècle une abbaye Saint Martin des Champs (occupée aujourd’hui par le Conservatoire des Arts et Métiers). Saint Martin évangélisateur des Gaules qui obligea un ours à porter ses bagages pour le punir d’avoir mangé son âne, cet âne Martin qui avait si finement inventé la taille de la vigne (si vous ne connaissez pas l’histoire pensez à me la demander) ce qui fait qu’on appela l’ours aussi, Martin (la même histoire avec Saint Bernard et tout le monde s’appelait Bernard…). Mais cet ours, ce roi déchu il fallait encore le rabaisser, le ridiculiser ; l’ Église en fit donc un glouton un paillard sans cervelle et pire un être lubrique et obsédé sexuel dont la possibilité de se tenir sur les deux pattes arrières lui permettait les pire choses avec les gentes femmes et filles. Encore une fois tout a été écrit par M.Pastoureau, y compris la revanche de l’Ours mais ceci est une autre histoire. Concluons donc ce chapitre en affirmant, avec le voisinage de l’abbaye St Martin des Champs et celui des dames de petite vertu, la présence de l’Ours dans le quartier.


La Rue aux Ours d’aujourd’hui est sans caractère, seul son côté sud (elle est Est-Ouest) est ancien, mais c’est pourtant son côté nord qui est le plus curieux. Il est occupé par un commissariat de police et juste à côté par un établissement dénommé « Le dépôt » (relation avec la police, les grossistes du Sentier, les Halles ?) qui est une des plus grandes boîtes de nuit « gay » d’Europe. Après le départ des filles de joie, une boîte interdite aux filles tout court, les interdits changent mais la société a toujours besoin d’en avoir…


C’est en faisant cette réflexion que je constatais que sur mon ordre de mission l’adresse finale recherchée par Chateaubriand était en fait rue « du Bourg l’Abbé ». Cette rue est toute voisine de celle aux Ours et ne présente architecturalement pas plus d’intérêt : elle a des souvenirs cependant . C’est là que se tenait l’armurerie pillée par les émeutiers de 1832 que nous retrouverons en armes sur la barricade hugolienne, mais c’est surtout au numéro 7 qu’il y avait, il y a peu de temps encore, la Boîte la plus célèbre des années 80-90 : « Les Bains Douches."

En fait Chateaubriand en retard de 200 ans sur Bassompierre, avait rendez vous avec 150 ans d’avance avec un des top models qui firent les grandes heures des « Bains » quand le monde entier y venait y compris Andy Warhol (le peintre de la Cène : suivez un peu le Blog S.V.P). Les époques se bousculent un peu comme dans un spectacle où l’on allait allègrement de 1962 à 2012.

Un mot sur ces Bains. Le lieu était dans sa première destination un décrassoire à prolos comme il y en avait partout dans Paris. J’ai connu la chose quand l’instit rentrant dans la classe qui devait sentir un peu plus fort que d’habitude annonçait : « mercredi : douches ! » je rappelle que le congé c’était le jeudi. Quand jusqu’à 16 ans on s’est baigné sur l’évier d’un coin cuisine et soulagé sur le palier, on comprend mal que certains se plaignent de leur logement… ceci nous emporterait trop loin… quittons le lessivage des sueurs prolétariennes et les transpirations érotisées des danseurs V.I.P.

Mon train est celui de 18h 19, j’ai encore le temps de descendre à pied vers l’Hôtel de Ville. Je ne prends pas le Boulevard de Sébastopol ( Sébasto pour les intimes et même Topol pour les vraiment familiers) mais notre déjà souvent évoquée rue Saint Martin avec un petit crochet par le passage Molière, son théâtre révolutionnaire de 1792 aujourd’hui maison de la poésie, puis la rue Quincampoix « Touchez ma bosse Monseigneur… » l’argent facile et le libertinage comme aux « Bains » Law ou Beigbeder « le Bossu » ou « 99 F » , retour rue Saint Martin, l’emplacement de la barricade Saint Merri modèle de celle des Misérables…il y a encore mille choses dans le coin… entre la rue de Venise, Beaubourg, la rue Transnonain et son massacre, transnonain qui fut trace-nonains mais surtout trousse-nonains avec ses filles retrousseuses de frocs monacal…


Hôtel de Ville : je descends dans le métro ; une affiche annonce un nouveau film : « l ‘Homme qui rit » toujours Victor Hugo, et avec dans le rôle d’Ursus : Gégé Depardieu ! Gégé l’Ours ! Comme dirait une de mes connaissances « Pine d’ours !» La boucle est bouclée !


Pas tout à fait, avant Austerlitz il y a comme déjà dit le quai Saint Bernard et la ménagerie du Jardin des plantes . Je ne vais pas vous reparler des loups de « La traversée de Paris » ( Marcel Aymé) mais d’un autre film lui de 1960, l’histoire avec Francis Blanche d’un ours qui parle mais qui choisit son interlocuteur, la preuve d’une grande sagesse, intitulé tout simplement « l’Ours ».

Tout dernier point : mon train de retour a eu comme assez régulièrement une heure de retard suite à sa rencontre avec un gibier suicidaire. Signe des temps peut être, si les loups ou les ours ne sont pas encore entrés dans Paris, les bêtes sauvages envahissent les voies qui conduisent à nos campagnes qui se dépeuplent….


Javert :

Châteauroux (et non briand), antépénultième nuit de 2012."

jeudi 27 décembre 2012

Sainte Cécile

Concluons donc ce voyage pictural et littéraire où nous a conduits la lecture du livre de Paul Louis Rossi, Démons de l'analogie. Après avoir éclairé le rêve de Jean Valjean, l'auteur revient sur la peinture du XVIIème siècle, si pleine de sauvagerie, si habile et si empressée à donner figure au crime. Une seule remarquable exception selon lui : sainte Cécile. Pourtant son histoire, transmise par la Légende dorée, n'est rien moins que violente elle aussi. Il en rappelle les principaux moments : "fille d'une grande famille romaine - les Cecilii - elle devait épouser un prince romain, le païen Valérien. Mais contre toute attente elle le convainc dans la chambre nuptiale de se convertir et de renoncer à la consommation du mariage en observant une complète chasteté. Le préfet de Rome fit tuer Valérien. Puis il essaye inutilement d'étouffer Cécile dans un bain bouillant. Ensuite il la fit frapper par le bourreau de trois coups de hache, elle expira au bout de trois jours d'agonie."

Il poursuit en notant ce fait étrange qu'il ne reste pratiquement rien - à quelques rares exceptions près - de cette barbarie dans la peinture. "La plupart du temps, les peintres ont dressé un portrait harmonieux et paisible de la jeune femme. On ne sait pas bien pourquoi elle fut choisie comme patronne des musiciens. Mais ce que l'on peut constater, c'est la tranquillité de son maintien, la sérénité, et même la paix absolue de son visage et de ses gestes." Tout l'oppose au musicien raté de Greuze, comme on peut l'éprouver dans le tableau d'Orazio Gentileschi, sa Sainte Cécile avec l'Ange, peint en 1621.


"Le succès iconographique de sainte Cécile n'est pas fortuit. Il démontre simplement ceci, pour parvenir à la musique, il faut qu'il existe du manque. Ce n'est pas une histoire de sentiments. Il faut parvenir à l'expression de la musique hors la mesure." J'avoue ici ne pas bien comprendre : à quel manque fait-il allusion ? à celui qu'entraîne la chasteté voulue ?
Signalons quand même que sainte Cécile n'était pas à l'origine la patronne des musiciens. Longtemps ce rôle fut dévolu au pape Grégoire, qui donna ses lettres de noblesse au chant justement dit grégorien. Cécile, dont le culte remonte au Moyen Age, était représentée avec un bouquet de roses et une épée, sans instrument de musique. 


Il est surprenant que Paul Louis Rossi n'ait pas insisté sur le motif de la décapitation également à l’œuvre dans la légende de Cécile. Condamné à être décapitée, elle fut frappée trois fois par le bourreau, sans que celui-ci parvienne à trancher la tête, le quatrième coup étant interdit, elle agonisa donc pendant trois jours.

Sainte Cécile de la cathédrale d'Albi (nommée Sainte Cécile)

Cette sainte Cécile est la copie de celle de Stefano Maderno, qui a représenté la sainte dans la position où elle aurait été retrouvée, impeccablement conservée, lors de la rénovation de l'église en 1599. Ce n'était pas le premier miracle touchant son inhumation. Enterrée dans les catacombes de Saint Callixte, elle était apparue en songe au Pape Pascal en 822 et lui avait indiqué l’emplacement de son tombeau. Le cercueil avait alors été déplacé dans l’église Sainte Cécile au Trastevere et placé sous l’autel.

Angèle Paoli parle bellement de ce marbre de Maderno :  " Étonnante de modernité, la Cécile de Maderno (1600), premier grand témoignage de la statuaire baroque, émeut et trouble. Belle mystérieuse, voilée ― dévoilée ― révélée."




Finissons. Dernier paragraphe du texte rossien :

"Nous voici à la fin de notre récit des Démons de l'analogie, avec si peu de choses au creux de la main, quelques noix fermées, de la souffrance, une absence, le regard baissé de la jeune musicienne devant son orgue, l'Allégorie de l'Inclination d'Artemisia, à la Casa Buonarroti de Florence. La Pénultième vient de mourir, l'histoire gît dans ce rien qui nous échappe et qui demeurera dans le secret des mots et des images, qui établit une passerelle fragile entre l'écrivain et le lecteur. Cela tient dans une respiration. Un souffle. Un geste parfois. Comme cette paume renversé de la petite personne qui proteste au ciel contre le meurtre de Matthieu en Éthiopie, dans la si belle peinture de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage."

détail
Mais est-il une fin dans la quête analogique ? Est-il une fin de la protestation contre  la violence faite aux hommes ? Est-il une fin à cette violence même ? Le peu que nous tenons en nos mains ne peut-il être donné, semé, dispersé ? Je n'avais pas fini ce parcours dans le récit de Rossi que déjà un autre se dessinait dans les linéaments d'une autre œuvre, où les motifs et les thèmes rencontrés ici se retrouvaient là, alors que d'autres constellations symboliques surgissaient, s'imposaient irrésistiblement. Nous retrouverons Le Caravage, sainte Cécile, la violence et l'amour. Rendez-vous l'année prochaine.

mercredi 26 décembre 2012

Cochepaille cinéaste

Notre ami Daniel, le truculent Cochepaille des Misérables 62, avait filmé la pièce plusieurs soirs de suite (ce qui n'avait rien de simple tout en continuant de jouer). Il a monté toutes ses prises, et réalisé un DVD qui fut projeté il y a une quinzaine de jours au Foyer Rural de Cluis. Une bonne partie des comédiens se sont retrouvés à cette occasion, et nous avons pu saluer le beau travail de notre bagnard.
Il en a tiré une vidéo d'extraits sur You Tube que vous pouvez visionner ici :



Je signale par la même occasion que France-Culture diffuse une adaptation des Misérables pour la radio. Le premier épisode du feuilleton, c'était hier, avec
Philippe Magnan : le narrateur
Jean-Marie Winling : Jean Valjean
Michaël Lonsdale : Monseigneur Myriel
Thierry Bosc : Le conventionnel
Laurence Mercier : Mlle Baptistine
Christine Pignet : Mme Magloire
Etienne Grébot : l’aubergiste
Jacques Poix-Terrier : le brigadier
Et la voix de Myriam Ajar.


dimanche 23 décembre 2012

Eugène, le frère fou

Paul-Louis Rossi : "Il serait séduisant de reconnaître dans la peinture du siècle la prémonition d'une fin des dynasties qui règnent sur l'Europe et qui vont périr dans la tragédie de l'histoire, la tête coupée, comme celles des rois mérovingiens et des généraux barbares sacrifiés sur le front des troupes en cas de défaite. La tête du roi Charles 1er est présentée au peuple, tenue par les cheveux, comme la tête du général Holopherne par Judith. Cette figure de la décapitation est prégnante dans la peinture du siècle, jusqu'à l'obsession. Il n'est que de songer à la Judith de Giovanni Battista Spinelli, en robe verte, la main comme une ombre devant le visage, à Nantes, qui jouxte la superbe Diane Chasseresse d'Orazio Gentileschi."


Giovanni Battista Spinelli, “Judith with the Head of Holofernes,” Oil on canvas, 80 x 68 cm, Musée des Beaux Arts, Nantes.
Ce tableau de Battista Spinelli, je l'ai découvert sur la page Pinterest d'Elise Winer, qui consacre une page entière à Judith. La source est un autre blog, qui présente deux autres tableaux de Spinelli sur le même thème de la décapitation d'Holopherne.

Giovanni Battista Spinelli, "Giuditta recide la testa ad Oloferne," private collection (1)
Giovanni Battista Spinelli, "Giuditta con la testa di Oloferne," c.1630-1660, Oil on canvas, 84.5 x 67.5 cm, private collection
Ici encore, cette main ombrant le regard, dont j'entrevois mal la signification.
En tout cas, la page sur Pinterest permet de bien prendre conscience de la popularité du thème, car il semble presque qu'aucun grand peintre n'a négligé de le traiter. D'ailleurs on retrouve un tableau d'Orazio, le père d'Artemisia :

 Orazio Gentilesch​i (1563-1639), Judith et la servante avec la tête d'Holopherne (1611-1612 env.), huile sur toile, 123 × 142 cm, Vatican, musées du Vatican.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la toile du père n'a pas la puissance de celle de la fille (revoir ici) : alors que les regards de Judith et de la servante étaient braqués sur leur victime, ici ils se perdent dans le hors-champ ; nous ne sommes plus au cœur de l'action, mais un peu plus tard, alors que la tête vient d'être déposée dans le panier. Pas de sang sur l'épée, Holopherne paraît dormir : la scène en est dédramatisée.

Intéressant aussi de retrouver Giovanna Garzoni dont Paul Louis Rossi n'avait pas mention d’œuvre sur le sujet. Or c'est bien le cas, avec cette petite tempera :

Giovanna Garzoni, "Portrait of the Grand Duchess Vittoria della Rovere as Judith with the head of Holofernes," mid 17th century, tempera on vellum, 28.5 x 40.3 cm, auctioned by Christie's 7/4/2006 (Lot 32)
Tout ça pour en arriver au motif de la chevelure chez Mallarmé : "Faut-il saisir la métaphore par les cheveux pour résoudre l'histoire fameuse de la Pénultième :

La pénultième
est Morte... "

Paul-Louis Rossi évoque pour les écarter aussitôt les interprétations univoques comme celle où la pénultième désignerait la mère défunte du poète. Il ne voit de solution que dans le recours au "système analogique", au "glissement de la mystérieuse absente vers une suite de variations :

une peine 
ultième à 
peine ultime."

Dans cette recherche, il ajoute que c'est le "hasard qui décide pour nous". Et c'est à cet instant qu'il revient aux Misérables : "Ce matin, j'ai relu l'histoire si compliquée des Misérables, alors que Jean Valjean - alias Monsieur Madeleine - avec Cosette, poursuivi par Javert, se réfugie dans le couvent des Visitandines, à Paris, au 62 de la rue Picpus. Donc il se présente à la supérieure du couvent qui le nomme jardinier aux côtés d'Ultime Fauchelevent. Ce quartier de la rue Picpus est rempli de mystère. On y trouvait autrefois la clinique de Mme Marcel Saint-Colombe où Gérard de Nerval est soigné au moment de sa première crise de folie. La rue Picpus conduisait à la Barrière du Trône Renversé - aujourd'hui place de la Nation - où furent décapités de nombreuses religieuses, des révolutionnaires et des conventionnels, et surtout André Chénier. Ils étaient enterrés dans cet espace vacant du couvent des religieuses." [C'est moi qui souligne]

A partir de là, "où nous voici très proche de la peine capitale", Paul Louis Rossi déclare que l'on peut saisir ce que signifie le rêve de Valjean relaté par Hugo dans le passage de Tempête sous un crâne :

Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d'enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus. (...)  J'entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?) (...) Derrière l'angle que faisaient les deux rues, il y avait un homme debout contre le mur. Je dis à cet homme : Quel est ce pays ? 
Alors le premier que j'avais vu et questionné en entrant dans la ville me dit : Où allez-vous ? Est-ce que vous ne savez pas que vous êtes mort depuis longtemps ?

Il aperçoit dans ce rêve le "rapport inconscient et probablement douloureux de Hugo avec ses deux frères aînés Abel et Eugène (...). Il est nécessaire d'ajouter que Eugène et Victor convoitaient la même jeune fille Adèle Foucher, que Victor l'emporta sur son frère. C'est ainsi que le jour des noces Eugène Hugo avait sombré dans la démence et la folie, en 1822. Voilà pourquoi dans l'imaginaire - sans doute - l'auteur de Claude Gueux et des Derniers jours d'un condamné, d'évidence et définitivement se perçoit dans le rôle obscur de Caïn."

L'explication se tient, d'autant plus que, comme l'ont fait remarquer Guy et Annette Rosa dans leur édition du roman, le narrateur n'a évoqué aucun frère de Jean Valjean dans le chapitre consacré à son portrait (partie 1, livre 2, chapitre 6) et il n'en est jamais question nulle part ailleurs dans le roman. Cependant c'est Eugène et non Abel qui fut en concurrence avec Victor, et quelque chose reste inexpliqué à mes yeux, ce qui fait que la même question se pose toujours : Pourquoi Romainville ?

Javert, le fin limier, me semble sur la bonne voie quand il évoque dans sa lettre ouverte l'étymologie de Romainville : Romanus Villa. Pourquoi ne pas aller directement à Rome, suggère-t-il justement ? Oui, allons-y. Rome n'est-elle pas la ville de Romulus et Rémus ? Romulus, autre Caïn, qui, selon une des versions du mythe, tue son frère parce qu'il a osé franchir le sillon sacré (le pomoerium) qu'il vient de tracer lors de la fondation de Rome, en 753 avant J.-C. Romulus et Rémus dont le grand-père est Numitor, roi de la légendaire Albe la Longue, fondée par Ascagne, fils d'Enée, et dépossédé de son trône par son frère Amulius (c'est donc encore une histoire de frères ennemis). Ce qui justifie le prénom d'Albin donné au compagnon de Claude Gueux, et retrouvé dans les Misérables. Devenus hommes, les deux jumeaux tuent Amulius et rendent le trône à Numitor, qui leur permet en retour de fonder une nouvelle cité, Rome.

Pietro da Cortona, Faustulus présente Romulus et Remus à son épouse Acca Larentia, 1643 environ.
Musée du Louvre.


Deux ans après la mort d'Eugène à 37 ans - interné à Charenton, il n'avait jamais recouvré la raison - Hugo écrit en 1839 un drame, inspiré de l'histoire du Masque de Fer, intitulé Les Jumeaux, mais qui est resté inachevé. On a d'ailleurs interprété cet inachèvement comme un signe : "Peut-être, avançait Charles Baudoin dans sa Psychanalyse de Victor Hugo, "Les Jumeaux" présentaient-ils trop directement le motif de l'opposition des deux frères, dont l'un est sacrifié à l'autre, et cela pourrait expliquer une inhibition aboutissant à l'abandon de l’œuvre." Anne Ubersfeld écrivant de son côté qu'il est "difficile de ne pas entendre dans Les Jumeaux l'écho du drame de la folie et de l'enfermement d'Eugène, vie fraternelle, volée, génie prisonnier de l'asile tandis que triomphe l'autre, le frère glorieux."


Difficile aussi de ne pas souscrire à ces lignes de Paul Louis Rossi, qui concluent sa quête hugolienne :

"Il est évident que je ne crois pas à l'explication de texte, et que j'ai le plus grand doute à propos de l'interprétation psychanalytique de la littérature. Par contre, je crois que la littérature exprime un manque, une absence, et même une coupure. Je suis certain qu'elle dissimule en son organisation une souffrance et même une blessure. On pourrait penser que cette blessure est invisible dans le texte, pourtant je dirai qu'elle doit s'entrevoir et se dessiner entre les images et les termes du lexique."

Il nous reste à arpenter les trois dernières pages de l'ouvrage, qui font retour sur la peinture du XVIIème siècle, à recueillir un dernier "éclat de lumière". Ce sera pour la prochaine.



jeudi 20 décembre 2012

Juste avant la fin du monde

Bon, foin des digressions, je rentre dans le rang, et continue l'exploration du livre de Paul Louis Rossi, Démons de l'analogie, après l'évocation de Chateaubriand sur les traces de l'aventure amoureuse racontée dans ses Mémoires par le maréchal de Bassompierre, reprise en deux lignes par Jacques Roubaud dans Le grand incendie de Londres où il cite Hoffmansthal qui en fit une nouvelle. Bref, Paul Louis Rossi conclut bellement ce chapitre en soulignant que ce qui a séduit les lecteurs, dans la prose héroïque du noble batailleur pleine de bruit et de fureur, c'est "l'histoire d'une seule femme tenue en une seule nuit entre ses bras, au bord de la Seine." Il écrit qu'il "laisse entendre dans l'écriture toute la nostalgie de l'homme qui conserve ce fantôme dans sa mémoire comme la seule chose, au fond de lui-même, qui nourrisse encore son désir de l'amour et de l'inconnu."

Gravure allemande représentant la décapitation de Charles Ier d'Angleterre, XVIIe siècle
Le chapitre VII est intitulé La musique. Il commence par l'assassinat de Buckingham et la décapitation de Charles 1er, le souvenir de Vingt ans après d'Alexandre Dumas, où le fils maudit de Milady Winter, Mordaunt, prend la place du bourreau pour trancher la tête du roi tandis qu'Athos, caché sous le plancher de l'échafaud, recueille le sang du monarque. C'est l'occasion de raccrocher avec Rancé, qui juge que l'Angleterre est Etat de Satan. Rancé, qui stigmatise la Réforme et exulte lors de la Révocation de l’Édit de Nantes. Rancé que Chateaubriand hésite à suivre dans sa "haine passionnée de la vie", "sa marche sans espoir vers le néant". Et Paul Louis Rossi d'exhumer cette expression à ses yeux magnifique (et aux miens aussi) :

La vieillesse est une voyageuse de Nuit : la terre lui est cachée ; elle ne découvre plus le ciel.

Une expression en amène une autre, que l'on doit au protestant Laurent Drelincourt, qui désigne le Christ comme l'Etoile du matin, et son apparition sur la terre pour finir, La Nuit des cérémonies légales. Il est le fils de Charles Drelincourt, qui dessert le temple de Charenton, dont la destruction réjouit si fort l'abbé de Rancé.

J'aurais dû, écrit Rossi, pour mes Démons, faire appel, en manière d'exorcisme, à ce Laurent Drelincourt :

"Craindrons-nous, fier Démon,
                                         tes Assauts et tes Coups ?
N'es-tu pas terrassé par le Sauveur du Monde ?
Et, si tu l'es par Luy, ne l'es-tu pas par Nous ?

En ces jours proches du solstice d'hiver, dans notre hémisphère, j'ai repris la lecture de Laurent Drelincourt, alors qu'il prêche en 1677 sur le thème de l'Apocalypse de Jean :

Voici ce que dit celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite, et qui marche au milieu des sept chandeliers d'or."

 Paul-Louis Rossi écrit ici certainement en 2011, et ses lignes trouvent un formidable écho en ce jour, car à l'heure où j'écris moi-même, nous voici le 21 décembre, jour de la fin du monde annoncé soi-disant par les Mayas. Rumeur idiote bien entendu mais dont le retentissement est tout de même faramineux, puisque même ceux qui en rient se voient comme contraints d'en faire mention. Ainsi Gallica proposait-elle hier sur sa page Facebook une revue d'images de l'Apocalypse :

Manuscrit espagnol du IXème siècle
L'heure tardive me conduit à différer la suite de ce billet. Ou bien restera-t-il à jamais inachevé, alors que j'allais enfin en venir à ce 62 de la rue de Picpus que je vous annonçais d'emblée ?

Ce serait dommage, d'autant plus que Javert m'a prévenu ce soir qu'il revient de sa mission rue des Ours, et que son rapport devrait suivre de façon imminente.

En attendant, écoutez donc Hugo, lu par deux grandes actrices.
" Aimons toujours ! aimons encore !"


vendredi 14 décembre 2012

Je veux du superflu, de l'inutile, de l'extravagant, du trop, de ce qui ne sert à rien

Prolongation dans la digression. Alors que je tentais une dernière recherche autour de Greuze (il aurait dessiné lui aussi un Eponine et Sabinus), je suis tombé sur un passage des Misérables qui cite le couple mythique. Je ne doutais pas que Hugo connaissait l'histoire, mais je ne savais pas qu'il l'avait inscrite en toutes lettres dans son récit. Bon, il s'agit d'une simple mention en passant, mais ce n'est pas anodin.
John Gielgud, Gillenormand, (1978)
Il se trouve, ironie du sort, que c'est de la bouche même de celui que je n'ai pas fait apparaître dans l'adaptation que sort cette citation. Oui, c'est Gillenormand, le grand-père de Marius, qui, en une superbe tirade, intercale nos deux amants tragiques entre Charles-Quint et un tas de petits bonhommes dorés qui jouent de la trompette :

Le grand-père extrayait de ces chiffons une sagesse.
– L'amour, c'est bien; mais il faut cela avec. Il faut de l'inutile dans le bonheur. Le bonheur, ce n'est que le nécessaire. Assaisonnez-le-moi énormément de superflu. Un palais et son cœur. Son cœur et le Louvre. Son cœur et les grandes eaux de Versailles. Donnez-moi ma bergère, et tâchez qu'elle soit duchesse. Amenez-moi Philis couronnée de bleuets et ajoutez-lui cent mille livres de rente. Ouvrez-moi une bucolique à perte de vue sous une colonnade de marbre. Je consens à la bucolique et aussi à la féerie de marbre et d'or. Le bonheur sec ressemble au pain sec. On mange, mais on ne dîne pas. Je veux du superflu, de l'inutile, de l'extravagant, du trop, de ce qui ne sert à rien. Je me souviens d'avoir vu dans la cathédrale de Strasbourg une horloge haute comme une maison à trois étages qui marquait l'heure, qui avait la bonté de marquer l'heure, mais qui n'avait pas l'air faite pour cela; et qui, après avoir sonné midi ou minuit, midi, l'heure du soleil, minuit, l'heure de l'amour, ou toute autre heure qu'il vous plaira, vous donnait la lune et les étoiles, la terre et la mer, les oiseaux et les poissons, Phébus et Phébé, et une ribambelle de choses qui sortaient d'une niche, et les douze apôtres, et l'empereur Charles-Quint, et Eponine et Sabinus, et un tas de petits bonshommes dorés qui jouaient de la trompette, par-dessus le marché. Sans compter de ravissants carillons qu'elle éparpillait dans l'air à tout propos sans qu'on sût pourquoi. Un méchant cadran tout nu qui ne dit que les heures vaut-il cela? Moi je suis de l'avis de la grosse horloge de Strasbourg, et je la préfère au coucou de la Forêt-Noire.(Livre V, 5, 6)
La danse de Gillenormand
Le reste de l'envolée mérite un détour, c'est un vrai morceau d'éloquence, et on se demande dans quelle mesure Hugo ne souscrit pas à la verve du vieux Gillenormand. Cet amour de l'excès, cette célébration dionysiaque de l'amour et de la vie, la détestation du sérieux et de la lésine bourgeoise, c'est Hugo tout aussi bien. Et n'est-il pas troublant de voir invoqué comme présage de la fin de l'ancien régime un duc de Rohan, duc de Montbazon, circulant en tapecul, et descendant sans nul doute du débauché Hercule de Rohan, dont la décapitée Marie de Montbazon fut la jeune épouse ?

M. Gillenormand déraisonnait spécialement à propos de la noce, et tous les trumeaux du dix-huitième siècle passaient pêle-mêle dans ses dithyrambes.
– Vous ignorez l'art des fêtes. Vous ne savez pas faire un jour de joie dans ce temps-ci, s'écriait-il. Votre dix-neuvième siècle est veule. Il manque d'excès. Il ignore le riche, il ignore le noble. En toute chose, il est tondu ras. Votre tiers état est insipide, incolore, inodore et informe. Rêves de vos bourgeoises qui s'établissent, comme elles disent : un joli boudoir fraîchement décoré, palissandre et calicot. Place! place! le sieur Grigou épouse la demoiselle Grippesou. Somptuosité et splendeur. On a collé un louis d'or à un cierge. Voilà l'époque. Je demande à m'enfuir au delà des sarmates. Ah! dès 1787, j'ai prédit que tout était perdu, le jour où j'ai vu le duc de Rohan, prince de Léon, duc de Chabot, duc de Montbazon, marquis de Soubise, vicomte de Thouars, pair de France, aller à Longchamp en tapecul! Cela a porté ses fruits. Dans ce siècle on fait des affaires, on joue à la Bourse, on gagne de l'argent, et l'on est pingre. On soigne et on vernit sa surface; on est tiré à quatre épingles, lavé, savonné, ratissé, rasé, peigné, ciré, lissé, frotté, brossé, nettoyé au dehors, irréprochable, poli comme un caillou, discret, propret, et en même temps, vertu de ma mie! on a au fond de la conscience des fumiers et des cloaques à faire reculer une vachère qui se mouche dans ses doigts. J'octroie à ce temps-ci cette devise : Propreté sale. Marius, ne te fâche pas, donne-moi la permission de parler, je ne dis pas de mal du peuple, tu vois, j'en ai plein la bouche de ton peuple, mais trouve bon que je flanque un peu une pile à la bourgeoisie. J'en suis. Qui aime bien cingle bien. Sur ce, je le dis tout net, aujourd'hui on se marie, mais on ne sait plus se marier. Ah! c'est vrai, je regrette la gentillesse des anciennes mœurs. J'en regrette tout. Cette élégance, cette chevalerie, ces façons courtoises et mignonnes, ce luxe réjouissant que chacun avait, la musique faisant partie de la noce, symphonie en haut, tambourinage en bas, les danses, les joyeux visages attablés, les madrigaux alambiqués, les chansons, les fusées d'artifice, les francs rires, le diable et son train, les gros nœuds de rubans. Je regrette la jarretière de la mariée. La jarretière de la mariée est cousine de la ceinture de Vénus. Sur quoi roule la guerre de Troie? Parbleu, sur la jarretière d'Hélène. Pourquoi se bat-on, pourquoi Diomède le divin fracasse-t-il sur la tête de Mérionée ce grand casque d'airain à dix pointes, pourquoi Achille et Hector se pignochent-ils à grands coups de pique? Parce que Hélène a laissé prendre à Pâris sa jarretière. Avec la jarretière de Cosette, Homère ferait l'Iliade. Il mettrait dans son poème un vieux bavard comme moi, et il le nommerait Nestor. Mes amis, autrefois, dans cet aimable autrefois, on se mariait savamment; on faisait un bon contrat, ensuite une bonne boustifaille. Sitôt Cujas sorti, Gamache entrait. Mais, dame! c'est que l'estomac est une bête agréable qui demande son dû, et qui veut avoir sa noce aussi. On soupait bien, et l'on avait à table une belle voisine sans guimpe qui ne cachait sa gorge que modérément! Oh! les larges bouches riantes, et comme on était gai dans ce temps-là! la jeunesse était un bouquet; tout jeune homme se terminait par une branche de lilas ou par une touffe de roses; fût-on guerrier, on était berger; et si, par hasard, on était capitaine de dragons, on trouvait moyen de s'appeler Florian. On tenait à être joli. On se brodait, on s'empourprait. Un bourgeois avait l'air d'une fleur, un marquis avait l'air d'une pierrerie. On n'avait pas de sous-pieds, on n'avait pas de bottes. On était pimpant, lustré, moiré, mordoré, voltigeant, mignon, coquet, ce qui n'empêchait pas d'avoir l'épée au côté. Le colibri a bec et ongles. C'était le temps des Indes galantes. Un des côtés du siècle était le délicat, l'autre était le magnifique; et, par la vertuchoux! on s'amusait. Aujourd'hui on est sérieux. Le bourgeois est avare, la bourgeoise est prude; votre siècle est infortuné. On chasserait les Grâces comme trop décolletées. Hélas! on cache la beauté comme une laideur. Depuis la révolution, tout a des pantalons, même les danseuses; une baladine doit être grave; vos rigodons sont doctrinaires. Il faut être majestueux. On serait bien fâché de ne pas avoir le menton dans sa cravate. L'idéal d'un galopin de vingt ans qui se marie, c'est de ressembler à monsieur Royer-Collard. Et savez-vous à quoi l'on arrive avec cette majesté là? à être petit. Apprenez ceci : la joie n'est pas seulement joyeuse; elle est grande. Mais soyez donc amoureux gaîment, que diable! mariez-vous donc, quand vous vous mariez, avec la fièvre et l'étourdissement et le vacarme et le tohu-bohu du bonheur! De la gravité à l'église, soit. Mais, sitôt la messe finie, sarpejeu! il faudrait faire tourbillonner un songe autour de l'épousée. Un mariage doit être royal et chimérique; il doit promener sa cérémonie de la cathédrale de Reims à la pagode de Chanteloup. J'ai horreur d'une noce pleutre. Ventregoulette! soyez dans l'olympe, au moins ce jour-là. Soyez des dieux. Ah! l'on pourrait être des sylphes, des Jeux et des Ris, des argyraspides; on est des galoupiats! Mes amis, tout nouveau marié doit être le prince Aldobrandini. Profitez de cette minute unique de la vie pour vous envoler dans l'empyrée avec les cygnes et les aigles, quitte à retomber le lendemain dans la bourgeoisie des grenouilles. N'économisez point sur l'hyménée, ne lui rognez pas ses splendeurs; ne liardez pas le jour où vous rayonnez. La noce n'est pas le ménage. Oh! si je faisais à ma fantaisie, ce serait galant, on entendrait des violons dans les arbres. Voici mon programme : bleu de ciel et argent. Je mêlerais à la fête les divinités agrestes, je convoquerais les dryades et les néréides. Les noces d'Amphitrite, une nuée rose, des nymphes bien coiffées et toutes nues, un académicien offrant des quatrains à la déesse, un char traîné par des monstres marins,
Triton trottait devant, et tirait de sa conque
Des sons si ravissants qu'il ravissait quiconque!
 Voilà un programme de fête, en voilà un, ou je ne m'y connais pas, sac à papier!
Pendant que le grand-père, en pleine effusion lyrique, s'écoutait lui-même, Cosette et Marius s'enivraient de se regarder librement.

Gillenormand (Gravure de Gustave Brion)

jeudi 13 décembre 2012

Eponine et Sabinus

« Julius Sabinus, si connu par sa révolte contre Vespasien et plus encore pour la beauté, la tendresse, la fidélité et l'amour conjugal de sa femme Épponina, était natif de Langres… C'est un des plus beaux morceaux de [l'histoire] des Gaules, par les exemples de vertus qu'elle présente et par la singularité des événements... » 
Denis Diderot

Natif lui-même de Langres, le philosophe connaît bien cette histoire. En l’an 69 de notre ère, après la mort de Néron, certains peuples gaulois se révoltent. Julius Sabinus, un aristocrate de la tribu des Lingons, rejoint la rébellion et va jusqu'à se proclamer lui même empereur, mais ses troupes sont écrasées par les Séquanes, restés fidèles à Rome. Tacite et Plutarque, ayant vécu à cette époque, ont rapporté l'histoire, ainsi que Dion Cassius, au siècle suivant.

Etienne Barthélémy Garnier (1759-1849) : Eponine et Sabinus. (Musée des Beaux-Arts d'Angers)
Sabinus fait croire à tous qu’il est mort dans l’incendie de sa villa et se cache dans un souterrain où, durant neuf années, Eponine son épouse vient le rejoindre la nuit : elle met au monde des jumeaux, "réduite à elle seule, écrit Plutarque, comme une lionne qui met bas dans son antre, et elle donna à son mari deux enfants mâles, j'allais dire deux lionceaux, qu'elle nourrit de son lait. De ces fils, l'un est mort à la guerre, en Égypte ; l'autre était ces jours derniers à Delphes avec nous, et il s'appelle Sabinus."

Finalement, Sabinus est dénoncé, capturé et traduit à Rome devant Vespasien. Eponine implore la clémence de l'empereur, en montrant ses enfants : « Je les ai mis au monde dans un tombeau, et je les y ai nourris pour que nous fussions plus nombreux à te supplier. ». Elle le fit pleurer, lui et les autres assistants, mais sans obtenir sa grâce, précise Dion Cassius. Elle demande alors à être réunie à Sabinus, déclarant au souverain inflexible : "Oui, dit-elle, dans les ténèbres et sous la terre j'ai vécu plus heureuse que toi sur ton trône."

Cette version lyrique et édifiante est sans aucun doute romancée. Selon une autre source, c'est le calme revenu dans le pays que  Sabinus et Eponine se seraient rendus à Rome pour implorer le pardon de Vespasien. Sans succès, hélas pour eux.

Épona (Wetterau-Museum à Friedberg)
Le choix de Hugo de nommer son personnage Eponine  ne doit rien au hasard. Le courage et le dévouement de la jeune femme pour son bien-aimé Marius  sont à l'image des qualités de l'Eponine gauloise. Maintenant il est intéressant de se pencher sur les fondations mythologiques de cette histoire. Eponine tire en effet son nom d'Epona, déesse gauloise majeure associée au cheval, animal de l'aristocratie gauloise. Ce qui n'a pas empêché l'église catholique de la canoniser, car une sainte Eponine est fêtée le 1er novembre, jour de Toussaint, en compagnie d'une kyrielle d'autres saints et saintes.

La réclusion dans un souterrain pendant neuf années est intrigante : le lieu n'a pas été formellement identifié, le territoire des Lingons s'étendant qui plus est sur plusieurs départements actuels. Néanmoins, trois hypothèses sont toujours à l'ordre du jour. La première fixe le séjour du couple dans la grotte dite de Sabinus à Balesmes sur Marne, près de Langres.

Grotte de Sabinus à Balesmes
© OTSI Pays de Langres - source : Mme Margot
Au pied de ce rocher se trouve la source de la Marne. Ce qui n'est pas fortuit quand on sait qu'Epona est liée au culte des sources, naissant parfois des coups de sabots des animaux divins. Le suffixe de divinité -ona se retrouve d'ailleurs dans le nom de Matrona, déesse éponyme de la Marne. Les jumeaux d'Eponine pourraient bien prendre là leur origine.
Statuette représentant la Dea Matrona

Le second lieu supposé est la crypte de l’église de Griselles, en Côte d’Or, qui renferme  le tombeau de l'un des cinq Valentin reconnus saints par l'Eglise. Un sarcophage portant l’inscription SABINUS, datée des IIe-IIIe siècles, a laissé croire qu'il s'agissait du tombeau du chef gaulois. Quant à Valentin, fils de nobles romains au VIe siècle, il aurait renoncé au mariage pour vivre lui aussi dans une grotte (spelunca). Il aurait fondé une chapelle (ecclesiola), qui devient Egliselle, puis, à partir du XIIe siècle, Griselles. L’évêque de Langres fit édifier à l’emplacement de son tombeau une grande église en son honneur.

Cette assimilation de Sabinus à Valentin en cache peut-être une autre : « Un même rite, remarque Philippe Walter, se retrouve dans le contexte de Carnaval et dans la légende de saint Valentin : la mise à mort par décapitation d'une figure divine. Le martyr Valentin est décapité, tout comme le géant de Carnaval. Ce rite de décapitation, qui renvoie à une pratique cultuelle par ailleurs bien connue des Celtes, se retrouve dans le Rig Véda associé à une divinité qui porte le nom fort explicite de Karna. Ce dieu hindou subit une décapitation rituelle et cet acte se trouve inscrit dans le temps des saisons comme s'il devait en expliquer le cycle infini (...). Dans le folklore médiéval et contemporain, Carnaval se termine avec la mort du roi géant que l'on sacrifie sur un bûcher au soir de mardi gras.» (Mythologie Chrétienne, Imago, 2005, pp. 88-89.)

En passant, nous retrouvons ce motif de la décapitation au cœur du Démon de l'Analogie de Paul-Louis Rossi.
Le troisième lieu susceptible d'avoir accueilli Eponine et Sabinus est la grotte de la Baume-Noire, à Frétigney, en Haute-Saône. C'est du moins ce que prétend démontrer en 1865 Alphonse Delacroix, président sortant de la Société d'Emulation du Doubs.

Baume-Noire, Balesmes, renvoient au mot baume, au XIIIe siècle, balme, caverne, grotte. La notice du CNRTL précise même qu'il est emprunté au gaulois "balma (Dottin, p. 230), le mot étant attesté dans l'aire géographique où s'établirent les Celtes (domaine gallo-roman entier, Italie du Nord, Suisse); Balma, nom propre désignant une caverne habitée par des ermites : vieou viiie-ixes.(...)".

Mon hypothèse est que l'événement historique, la défaite de Sabinus et la reddition à Vespasien, volontaire ou forcée, a été plaqué sur un schème mythique plus ancien, où régnait la figure de la déesse Epona, liée aux sources, celles ici de la Marne. Le vieux fond celtique, païen, trouvait là une actualisation plus recevable ; il devait néanmoins rester assez prégnant pour que l'église se donne la peine de canoniser Eponine, alors même qu'elle ne fut pas chrétienne. De même, selon Philippe Walter, le saint Valentin prend la place d'une divinité carnavalesque que l'on met rituellement à mort. La dimension mythologique se donne aussi à voir dans le destin des deux jumeaux, puisque l'un meurt en Egypte et l'autre est exilé à Delphes. Or, à Delphes se situe l'ombilic, l'omphalos, le centre du monde, le centre zodiacal de la Grèce selon Jean Richer, qui situait aussi à Ammonion en Egypte le centre zodiacal primitif, générateur des autres, concurremment avec ceux de Babylone (Géographie sacrée du monde grec, p. 102). Il s'appuyait notamment sur un texte de Platon (Les Lois, livre V) qui précisait qu'il fallait, pour établir les fondations d'une cité, accorder une égale importance aux oracles de Dodone, de Delphes et d'Ammonion.

Mais je ne veux pas vous entraîner plus avant dans ce périple géosymbolique où nous a conduits une simple expression de Chateaubriand. Finissons donc avec cette digression et revenons au Démon de l'Analogie.

Antoine-François Callet, Eponine et Sabinus condamnés par Vespasien




mardi 11 décembre 2012

Petit Pont

Et voilà, le Démon Analogie, le diable bernardologique, est en pleine bourre : ce Petit-Pont dont je ne savais que pouic la semaine dernière encore, apparu dans la prose de Paul Louis Rossi citant Chateaubriand citant Bassompierre, voici qu'il se donne à voir, par une de ces coïncidences merveilleuses que je me plais tant à épingler, dans la dernière aventure de Jeanne Picquigny, La patience du tigre, bande dessinée au long cours de Fred Bernard, empruntée à la médiathèque samedi, en toute innocence (le patronyme n'y est pour rien - je viens seulement de percuter son homonymie bernardienne -, j'avais tout simplement adoré les tomes précédents aux titres délicieux de La tendresse des crocodiles et L'ivresse du poulpe).

Ainsi donc, page 420, Jeanne Picquigny, en expédition dans les Indes à la recherche d'un fabuleux trésor, passe sur un pont suspendu encombré de singes menaçants, et cela lui évoque rien moins que le Petit-Pont parisien :


L'origine de l'expression est authentique. La faute à Saint Louis, semble-t-il.

dimanche 9 décembre 2012

Lettre ouverte de Javert


 J'ai reçu hier par mail cette lettre ouverte de mon cher Inspecteur Javert, que je m'empresse bien entendu - c'est le principe de la lettre ouverte - de publier ici, d'autant plus qu'elle contient des développements fort pertinents sur la matière qui nous concerne.


Ragazza- Musica- Salumeria : VIVA ROMA


"Mon cher Patrick, le 1er décembre tu as posé la question : Pourquoi Romainville ?
Comment y répondre bernardologiquement ?

Je dois dire tout de suite qu’il n’est pas, qu’il n’a jamais été et qu’il ne sera jamais question pour moi d’aller enquêter sur place, d’abord par ce que je ne sais même pas où ça se trouve, du moins je ne le savais pas avant de consulter une vieille carte Michelin ( n°100 au 50 000ème intitulée les sorties de Paris) qui présente un espace qui est sans doute pour moi le plus inconnu de notre vieux et cher pays : la banlieue. Aujourd’hui je situe Romainville et n’ai pas plus envie d’y aller. Précision : ce n’est pas pour éviter la banlieue rouge, St Cloud ou le Vesinet ne m’attirent pas plus. Et d’abord de quelle banlieue parlerions-nous si je devais en parler ; de celle de l’époque d’Hugo qui devait ressembler aux alentours de Cluis avec ses champs et ses vaches, de la banlieue de Céline ou de Cendrars qui disparut dans les années 60 (1962 ?) ou du « 9-3 » d’aujourd’hui ?

Non, désolé Patrick je n’irai pas à Romainville, on peut demander bien des choses à un Parisien , d’aller à New York, Dakar ou Châteauroux, mais pas en banlieue.

Campo di Fiori
 La suite de tes écrits me suggère d’ailleurs une autre destination. Puisque Romainville vient de Romanus Villa (le domaine du romain Romanus) pourquoi ne pas aller directement à Rome ? Pour justifier Hugoliennement le voyage, rappelons un poème extrait  des Châtiments  : L’égout de Rome. Extraits :


«Et Rome tout entière avec tout son passé,

Joyeuse, souveraine, escale, criminelle,

Dans ce marais sans fond croupit, fange éternelle.

C’est le noir rendez-vous de l’immense néant ; »


« Tous les vices de Rome, égout du genre humain,

Suintent, comme en un crible, à travers cette voûte,

Et l’immonde univers y filtre goutte à goutte. »


Dans ton spectacle, Francis Rivière-Valjean et Daniel Auvillain nous avaient si bien rendu la vision Hugolienne des cloaques ! (Faire jouer les cloaques à Rivière, quelle belle idée écologique…) Idée hugolienne, je dirais même obsession car le bon Victor use et abuse du thème en le transportant à Rome. Qu’y a -t-il de plus étranger à Rome que sa vision noire des cloaques ? La Rome des profondeurs du sol, c’est celle de Fellini dans son ROMA .Sous Rome il n’y a pas de dieux chthoniens tel que les invoque Hugo. Notons au passage que le cher Victor fut sans doute, en dehors de ses exils à Bruxelles ou dans les îles anglo-normandes, le moins voyageur de ses contemporains écrivains. Il n’a fait ni comme tant d’autres « le grand tour » d’Italie, ni le voyage en Orient pour découvrir Jérusalem, aider les Hellènes comme Byron ou visiter les ruines et les bordels comme Nerval ou Flaubert. Même George Sand et Musset firent le voyage d’Italie et grave erreur selon moi, c’est après paraît-il, tirage au sort qu’ils choisirent d’aller dans ce décor de théâtre qu’est Venise plutôt qu’à Rome. Stendhal ne commit pas cette erreur.

-          Quand à soixante ans on ne roule pas en Ferrari  il faut comprendre qu’on n'y roulera jamais.
Hugo lui, du moins il me semble, ne mit jamais ses pieds illustres de l’autre côté des Alpes ce qui rend ceux de ses vers un peu hasardeux quand il prétend les mettre dans l’Egout de Rome.

Autre raison d’aller à Rome : ton évocation du Caravage !

Voilà un personnage peut être Hugolien dans la démesure, sûrement Pasolinien et pas seulement parce qu’il mourut lui aussi sur une plage proche de Rome, que nous a fait revivre Cesare Capitani en avril dernier dans une des belles soirées de notre cher théâtre Maurice Sand : MOI, LE CARAVAGE.

Les pèlerins du Caravage

Il y a deux ans j’ai fait un énième voyage à Rome à la recherche du Venti Settembre (je te joins quelques photos de l’ouvrage intitulé « La mia Roma – autour du XX settembre » ouvrage non encore édité mais consultable chez l’auteur ) et suis prêt à y retourner pour une quête bernardienne.
Escalier de l’architecte Giuseppe Momo qui ne peut conduire aux cloaques hugoliens, mais aux lumineux….

Couloirs du Vatican.


Depuis le 1er décembre évoqué plus haut, tu es reparti semble-t-il vers Paris entre le Petit Pont et la rue aux Ours, pour tout dire à côté de chez moi, si tu préfères que je me lance sur cette piste dis-le moi. J’attends la mission et à très bientôt."

Cher Francis, tu as parfaitement raison : nul besoin de se rendre à Romainville. En revanche, il serait de première importance qu'un bernardologue aguerri  - et tu es bien sûr tout désigné - aille sur les traces de Chateaubriand, lui-même remontant le sillage du maréchal de Bassompierre. Cette rue aux Ours m'intrigue, même si je suis un peu déçu de lire sur Wikipédia qu'il ne s'agit pas du sympathique plantigrade, mais d'une altération de Rue aux Ouës (c'est-à-dire aux Oies).

Dans un second temps, le voyage d'étude à Rome s'impose. Premier pas vers un rayonnement mondial de la bernardologie.