jeudi 24 novembre 2011

Hugo au nouveau TNP de Villeurbanne


Beaucoup aimé l'entretien que Christian Schiaretti a accordé à Télérama. Directeur du TNP de Villeurbanne, metteur en scène, il y retrace avec humour son itinéraire : (...) Peu à peu mieux informé, j'essaie d'entrer à l'école du Théâtre national de Strasbourg, que je rate, et je n'ai bien sûr plus l'âge de tenter le Conservatoire. Toujours démerdard, j'entreprends à la fac une maîtrise… sur le Conservatoire ! Et je suis accepté comme auditeur libre chez Antoine Vitez ! Là-bas, attention, je suis un illégitime, un déclassé, je ne suis pas habillé comme il faut, j'ai des socquettes bordeaux en acrylique immondes. Tous les élèves se foutent de ma gueule. Peu m'importe. Je ne touche plus terre. Je découvre avec Vitez un rapport poétique aux choses. Il partait du texte et menait à la joie, car avec lui on pouvait faire théâtre de tout et avec tout le monde(...). Et il affirme avec force ses convictions d'un théâtre fondé avant tout sur le texte, un théâtre qui fasse voir les mots, populaire en ce qu'il "signifie simplement transmission lumineuse et claire de notre meilleur répertoire, classique et moderne, de Molière à Vinaver".

Et que choisit-il pour ouvrir le nouveau TNP ? Rien moins que Hugo, avec Ruy Blas. Et quand on lui demande pourquoi Hugo, il répond : "Mais dans la préface de son drame Marion Delorme, en 1831, il est le premier dramaturge français à réunir ces trois termes : « théâtre », « national » et « populaire » ! J'aime son mauvais goût qui mène au sublime ; j'aime qu'il mêle avec naïveté comédie, tragédie, mélodrame et grotesque ; j'aime sa véritable jouissance du mot, et son omniprésente passion pour les femmes."

Une scène de Ruy Blas© Christian Ganet

Note en passant : C'est en relisant Ruy Blas que des petits malins ont pu écrire que Victor Hugo avait prédit l'affaire DSK. Voic en effet la tirade inaugurale :


« Ah ! C’est un coup de foudre ! ... — oui, mon règne est passé,
Gudiel ! — renvoyé, disgracié, chassé ! —
Ah ! Tout perdre en un jour ! — L’aventure est secrète
Encor, n’en parle pas. — Oui, pour une amourette,
— chose, à mon âge, sotte et folle, j’en conviens! —
Avec une suivante, une fille de rien !
Séduite, beau malheur ! parce que la donzelle
Est à la reine, et vient de Neubourg avec elle,
Que cette créature a pleuré contre moi,
Et traîné son enfant dans les chambres du roi ;
Ordre de l’épouser. Je refuse. On m’exile !
On m’exile ! Et vingt ans d’un labeur difficile,
Vingt ans d’ambition, de travaux nuit et jour ;
Le président haï des alcades de cour,
Dont nul ne prononçait le nom sans épouvante ;
Le chef de la maison de Bazan, qui s’en vante ;
Mon crédit, mon pouvoir; tout ce que je rêvais,
Tout ce que je faisais et tout ce que j’avais,
Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule
Au milieu des éclats de rire de la foule ! »


lundi 21 novembre 2011

La cathédrale de Victor Hugo

Un article de Graham Robb, sur le site du mensuel Books, chronique le livre de l'historien d'art Michael Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame - Médiévalisme et monstres de la modernité, paru en octobre de cette année. J'y apprends que les fameuses sculptures n'ont rien de médiéval, que leurs consœurs originelles avaient depuis longtemps disparu : "Quand il entama ses travaux de restauration, en 1843, Eugène Viollet-le-Duc ne trouva qu’une poignée de moignons informes et de monstres délabrés, éparpillés dans le jardin derrière l’abside".

C'est en 1831 que Hugo avait fait paraître Notre-Dame de Paris (soit dit en passant, mis en scène également à Cluis, l'année suivante des Misérables, donc en 1963). A cette date, la cathédrale est dans un piteux état, Viollet-le-Duc la décrit comme « une ruine », "une cathédrale délabrée, à l’image des taudis environnants. Lorsque l’église devait accueillir une cérémonie nationale, on la bâchait et l’ornait de sculptures en carton-pâte dans le dernier style architectural en vogue. Il fallut attendre 1864, et le dévoilement de l’édifice restauré, pour que sa représentation hugolienne prenne corps. On aurait dit que Notre-Dame avait enfin retrouvé ce quelque chose « de fantastique, de surnaturel, d’horrible » que décrit le roman : « Des yeux et des bouches » s’ouvrant çà et là ; « les chiens, les guivres, les tarasques de pierre » veillant « jour et nuit, le cou tendu et la gueule ouverte, autour de la monstrueuse cathédrale ». N’étaient ses cornes et ses ailes repliées, l’une de ces chimères restaurées pourrait passer pour le portrait craché de « Quasimodo pensant ». Rien d’étonnant à cela, puisque Viollet-le-Duc s’est en partie inspiré du roman. Ceux qui, en plaisantant, parlaient de Notre-Dame comme de « la cathédrale de Victor Hugo » ne croyaient pas si bien dire. Les sculptures perchées sur les tours et les galeries, donnant au monument son aspect effrayant, n’étaient pas le fruit d’une simple restauration, mais le dernier avatar en date de la conception hugolienne du style gothique."

Puissance de l'imaginaire hugolien, qui parvient donc à imposer sa vision du médiéval. La lettre du livre devient la matière de l'édifice. A-t-on d'autres exemples d'un roman informant la réalité, recréant du passé à sa mesure, injectant dans le présent du mythe et du fantastique ?



Une de ces créatures du fantastique, la gargouille emblématique de Notre-Dame, sa pièce maîtresse selon Michael Camille, est celle que l'on nomme le Stryge (au-dessus, gravure de Charles Méryon, 1853): "Avec ses longs ongles de vampire femelle, sa tête offrant un condensé d’aberrations phrénologiques, et son nez crochu trahissant l’antisémitisme de son créateur, la Stryge et ses acolytes incarnent les terreurs bourgeoises : terreur de la maladie et de la prostitution ; terreur des « sauvages » de l’insurrection de juin 1848 ; terreur de voir resurgir chez l’homme les comportements du singe ; et terreur, enfin, des démons intangibles de la folie. La Notre-Dame de Viollet-le-Duc, cette cathédrale qui crie sa douleur en silence, est un monument des névroses du milieu du XIXe siècle."
Voir aussi la photo de Charles Nègre, conservée au musée d'Orsay.
Regardant samedi matin le troisième cours en ligne d'Antoine Compagnon sur 1966, Annus mirabilis, je retrouve le Stryge sur la couverture du roman de Huysmans, Là-bas, en Livre de poche (en illustration de son propos sur la place éminente acquise par le Livre de poche dans ces années 60). Il aurait pu choisir bien d'autres couvertures, mais non, ce fut celle-ci.


Je découvre enfin à l'instant que Le Stryge fait aussi la couverture de l'édition américaine du livre de Camille :








samedi 19 novembre 2011

Rentrez chez vous à Liverpool

Après la chanson française, place à la musique anglo-saxonne, jazz, rock and folk, qui prendra au fil de ces années 60 une place de plus en plus grande dans le coeur de la jeunesse française. Cette année-là, le 1er janvier, les Beatles auditionnent chez Decca, où ils enregistrent 15 titres en une heure. Ce qui n'empêche pas Dick Rowe, le directeur artistique, de les renvoyer sur les roses : « Rentrez chez vous à Liverpool, M. Epstein [Brian Epstein, le manager du groupe], les groupes à guitares vont bientôt disparaître. » Un visionnaire, ce Rowe (il sera d'ailleurs surnommé dans le milieu « the man who turned down the Beatles », l'homme qui rejeta les Beatles).
Ce n'est que partie remise : George Martin, à qui Epstein a fait écouter les bandes Decca, les auditionne chez Emi en juin 62, dans les fameux studios d'Abbey Road. Le premier single, Love me do, sort en octobre. La beatlemania va commencer.


 Le point de départ de cette chronique  a été cette page web découverte par sérendipité (autrement dit trouvée alors que je cherchais tout autre chose), extraite du blog QualityBootz.
Bonus track : les Beatles en 62, au Star Club de Hambourg, où ils se sont rodés à plusieurs reprises.



mardi 15 novembre 2011

Et j'entends siffler le train





C'est le premier titre de l'anthologie de la chanson française enregistrée, consacrée à l'année 1962, emprunté à la médiathèque Equinoxe. Richard Anthony, avec cette adaptation de 500 Miles de Hedy West, fait un carton. Il est possible qu'on en perçoive quelques échos dans le spectacle...





A l'autre bout de la liste, Georges Brassens, avec Les trompettes de la renommée, fait entendre une tout autre musique. C'est toute l'époque qui est comme résumée avec ces deux chansons. Mais je me trompe, au bout de la liste, il y a  cette chanson mal connue de la méconnue Hélène Martin, Le condamné à mort, sur un poème de Jean Genet.



Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes. 
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent 
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour. 

C'est très beau, et, disons-le, plus hugolien et valjeanesque que Richard Anthony (rappelons-nous aussi que Hugo a écrit Le Dernier Jour d 'un condamné.)
La chanson a été reprise (je le découvre, je n'en savais rien) par Etienne Daho, en 1998.

jeudi 10 novembre 2011

Les Misérables (1934), de Raymond Bernard

En 1934, Raymond Bernard réalise l'adaptation sans doute la plus longue (environ 4 h 30) du roman de Hugo , en trois films. Dans le rôle de Jean Valjean, l'immense Harry Baur, que j'avais déjà admiré dans son rôle de Volpone. L'intégrale est disponible sur YouTube. Voici la première partie : Une tempête sous un crâne.




Seconde partie : Les Thénardier.



Troisième partie : Liberté, liberté chérie.

samedi 5 novembre 2011

La physionomie des années

Et de trois. Après Robin et Dracula, voici le tour des Misérables 62. Besoin encore une fois d'un espace où transcrire les étapes de réalisation de ce projet théâtral mené avec le Manteau d'Arlequin de Cluis. Un blog où chroniquer, digresser, rêver, tenir la trace des efforts et des avancées, des difficultés et des succès. Cette nouvelle histoire n'a pas commencé hier, on s'en doute, mais j'attendais une sorte de déclic pour ouvrir ce chantier : il est venu sous la forme d'une conférence qui, au départ, n'avait rien à voir avec mon sujet. Un cours d'Antoine Compagnon, chargé de littérature moderne et contemporaine au Collège de France, le premier cours d'une série intitulée 1966, Annus mirabilis.
C'est le genre de choses que j'écoute en repassant.  Je dis bien "en repassant", car je repasse, voyez-vous, en général le samedi matin, et, contrairement à une certaine doxa féministe qui va répétant que l'homme est un animal monotâche, je parviens assez bien à manier le fer et entendre le verbe. Donc, j'étais à l'écoute de ce premier cours où A. Compagnon s'expliquait sur les raisons qui l'avaient poussé à consacrer tout un cycle de conférences à une année, et spécialement l'année 1966, lorsque je l'entendis évoquer Les Misérables, où Victor Hugo consacre tout un chapitre à l'année 1817 (on peut se reporter à la vidéo du lien au-dessus).
Il cite en particulier ce paragraphe terminal :
Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusément de l’année 1817, oubliée aujourd’hui. L’histoire néglige presque toutes ces particularités, et ne peut faire autrement ; l’infini l’envahirait. Pourtant ces détails, qu’on appelle à tort petits, – il n’y a ni petits faits dans l’humanité, ni petites feuilles dans la végétation, – sont utiles. C’est de la physionomie des années que se compose la figure des siècles.
Les Misérables paraît en 1862, quarante-cinq ans plus tard. Sans doute fallait-il un temps de recul nécessaire pour bien juger de l'importance des faits qui se déroulèrent à l'époque. Appliquant le même calcul, A. Compagnon, partant de 2011, aboutit logiquement à 1966. Or, il se trouve que ce n'est là qu'un hasard, car il avait choisi cette année bien avant d'être alerté par une connaissance sur ce passage de Hugo. D'autres raisons présidaient à son choix, que je vous laisse découvrir, pour ceux que ça intéresse, dans la vidéo du cours.

Il reste que cette double attention à Hugo et à une année bien particulière épouse le mouvement même du projet qui nous occupe, car il s'agit bien, pareillement, de pénétrer l’œuvre afin d'en faire surgir les aspects essentiels, tout en l'inscrivant dans cette année 1962, où la volonté d'un homme, emblématique d'un projet humaniste visant à porter la culture dans le peuple, rencontre l'enthousiasme de tout un village, au sortir des années de guerre qui se sont prolongées avec la toute récente guerre d'Algérie, fort de toute une jeunesse prête à s'investir sans compter son temps et sa fatigue.

C'est - reprenons les termes de Hugo - la physionomie de cette année 1962 que je veux essayer d'appréhender dans les mois qui viennent, afin d'en donner au public, à travers quelques détails significatifs, une version qui ne la trahirait pas. Je m'en tiendrai à ce modeste objectif.

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